Si je vous dis Notre-Dame de
Paris... Vous pensez probablement à la célèbre cathédrale, ou aux
lointains souvenirs de vos cours de français, les plus mélomanes se
remémoreront la comédie musicale de 1998, tandis que les
cinéphiles en herbe évoqueront l'adaptation du roman de Victor Hugo
revu et corrigé par les studios Disney.
Et dans tout cela, que reste t-il de
ce roman publié pour la première fois en 1831 ? Le film
d'animation rend-il convenablement hommage à la plume d'Hugo ?
Est-ce un bon divertissement ou est-il plus ou moins tombé dans
l'oubli à raison ? Trêve de questions, Raiponce !
Nôtre quoi ?
Difficile de juger de la qualité
d'une adaptation sans se pencher sur l’œuvre originale. C'est
pourquoi, je vous propose un petit cours de rattrapage sur l'intrigue
du roman. Attention spoilers !
L'histoire commence par le bal des
fous qui couronne le visage le plus laid de Paris. Quasimodo remporte
la palme, tandis qu'Esméralda danse au milieu des badauds, guettée
par l'archidiacre Claude Frollo. Ce spectacle réveille en lui une
passion féroce, muselée jusqu'ici au profit de sa foi et de la
science. Passion, qui le pousse à faire enlever Esméralda par son
fils adoptif Quasimodo. Rassurez-vous, il n'y parvient pas,
puisqu'elle est sauvée par le capitaine des gardes Phoebus. Tous
deux s'enflamment l'un pour l'autre. Quant à Quasi, il est condamné
au pilori ! Pendant sa torture, seule Esméralda fait preuve de
compassion en lui donnant à boire. La belle se méfie désormais de
Frollo, qu'elle sait à l'origine de sa tentative d’enlèvement et
l'ajoute à la liste de ses ennemis avec la vielle recluse qui
déteste les Gitans, coupables de lui avoir jadis volé son enfant.
Le seul souvenir qu'elle conserve du bambin est un petit soulier
brodé.
Bien que fiancé à Fleur de Lys,
Phoebus invite Esméralda dans une auberge. Il s'y rend suivi par
Frollo. L'archidiacre ne supportant pas de voir la bohémienne céder
aux avances de Phoebus, le poignarde ! Esméralda est arrêtée
pour un meurtre qu'elle n'a pas commis, mais avouera tout de même
sous la torture. La sentence tombe : elle sera pendue. Bien que
vivant, Phoebus ne sauve pas la gitane afin de conserver l'amour de
Fleur de Lys.
Pendant ce temps, Frollo rend visite
à Esméralda dans son cachot pour lui proposer la liberté contre un
baiser. Ce qu'elle refuse. Elle parvient tout de même à s’enfuir,
et demande le droit d'asile à Notre-Dame aidée par Quasimodo. Les
gitans croyant qu'elle y est retenue prisonnière attaque la
cathédrale. Frollo en profite pour faire sortir Esméralda et lui
refait la même proposition... sans succès. Fou de rage, il livre la
bohémienne à la vieille recluse, qui l'attaque. En se débattant,
Esméralda laisse tomber un soulier brodé. La mère reconnaît trop
tard sa fille qui lui est arrachée par les gardes, puis conduite à
la potence. Du haut de la cathédrale, Frollo et Quasimodo assistent
à l’exécution. Voyant le sourire affiché par l'archidiacre
pendant la pendaison, Quasimodo le jette dans le vide avant de se
laisser lui-même mourir en tenant contre lui le cadavre de la belle
gitane.
Des thématiques fortes
Plus que le tragique de son histoire
(comme d'habitude tout le monde meurt, sauf ce pourri bellâtre de Phoebus), ce qui frappe à la lecture de Hugo, ce
sont les thématiques abordées dans son œuvre :
Le premier questionnement, sans
doute le plus évident, est le rejet de la différence. Notre-Dame de
Paris fait la part belle à toute une flopée de personnages
marginaux. Quasimodo pour son physique disgracieux, les gitans
considérés comme des parias, Gringoire poète désargenté vu comme
un profiteur n'apportant rien à la société, la vieille recluse,
Frollo marginalisé en raison de sa passion pour la science etc. Ce
rejet pousse beaucoup de personnages à se replier sur eux-même.
Cette première thématique est, de
fait, très liée à la deuxième : les barrières qui nous sont
imposées et que nous nous imposons nous-même. C'est flagrant chez
Quasimodo, extrêmement frileux à l'idée de sortir de la cathédrale
qui s'isole d'autant plus ; ou encore les bohémiens qui ne
tolèrent personne d'étranger dans l'enceinte de la cour des
miracles et qui ne conversent avec personne en dehors de leur cercle
(la seule exception étant Esméralda et Clopin, leur leader). Il est
aussi possible de prendre l'exemple de Frollo qui s'enferme dans ses
études et sa foi ce qui l'amène à rejeter tout sentiment de
plaisir.
Le sentiment amoureux sous toutes
ses formes, est lui aussi mis à l'honneur dans le roman. Ce qui
frappe immédiatement, c'est l'antagonisme entre l’amour de
Quasimodo pour Esméralda qui n'est que pure abnégation et celui de
Frollo qui rêve de la posséder. Antagonisme qui fait d'ailleurs
écho à l'amour qu'éprouve Quasimodo pour son père adoptif qui est
un amour/haine de soumission tandis que l'amour de Frollo pour
Quasimodo est basé sur la domination et la pitié voire le dégoût
que lui inspire le physique de son fils. Mais la dualité dans les
relations ne s'arrête pas là. En effet, si les sentiments de Fleur
de Lys et Esméralda à l'égard de Phoebus ne sont que pureté et
naïveté ceux qu'éprouve Phoebus pour elles ne sont pas sans
arrières pensés. Recherche d'élévation sociale avec Fleur de Lys
et volonté d'assouvir une pulsion sexuelle avec Esméralda.
Enfin, Hugo dénonce les extrémités
auxquelles peuvent pousser ce sentiment avec la folie de la vieille
recluse chérissant le souvenir de sa fille, la condamnation à mort
d’Esméralda et les décès de Frollo et Quasimodo. Le cas de
Frollo est d'autant plus intéressant, que ce sont les barrières
qu'il s'est lui-même imposées qui l'empêchent de maîtriser ses
pulsions et le conduise à sa perte. Cette réflexion nous amène à
la dernière source de questionnement : la fatalité et la
notion de destin. Comme nous l'avons souligné plus haut, c'est le
désir de Frollo rejeté au profit de l'esprit et de la science qui
finira par le tuer. Or, le roman est truffé d'autres exemples de ce
type. Un chapitre entier est ainsi dédié à la découverte du mot
grec anarkia
tagué
sur la cathédrale qui signifie fatalité !
Quid
du Bossu de Notre-Dame ?
C'est
bien joli, mais que devient l'adaptation animée dans tout ça ?
J'y viens justement cher lecteur attentif. Tu seras donc ravi
d'apprendre que le Bossu de Notre-Dame reprend toutes les thématiques
phares de Notre-Dame de Paris (rejet de la différence, désir,
religion...) à l’exception notable de la fatalité. Cependant
cette adaptation étant destiné à un jeune public, il est logique
que les studios Disney l'aient adoucit, et donc par extension, que le
dessin animé ne soit pas, contrairement au roman, une tragédie.
Cependant,
la situation finale est très loin d'être le seul élément à avoir
été adouci. Malgré le fait que tous les thèmes (ou presque) soit
traités, l’œuvre a été globalement lissée et la violence
atténuée pour en faire un film pour enfants. En quoi est-ce mal ?
Cela devient problématique, lorsque les propos et les thématiques
du matériau d'origine ne sont pas, mais alors pas du tout, destiné
aux enfants, car le résultat final en pâtît. Le Bossu de
Notre-Dame est donc un film destiné à un jeune public, abordant des
questions d'adultes, qui ne peuvent être comprises que par eux. Le
film peut être apprécié par des enfants pour son esthétique, ses
chansons grandioses ou ses personnages, mais les motivations de ces
derniers sont extrêmement difficiles à comprendre pour eux.
Autre
soucis, pour faire tenir un pavé de près de 700 pages en 1h30 de
film, les thématiques abordées en plus d'être adoucis sont
simplifiées à l’extrême. Cela rend le propos plutôt manichéen.
Il y a les gentils capables d'amour, de tolérance et d'abnégation
menés par Quasimodo, Esméralda et Phoebus d'un côté. Les méchants
avec leur leader Frollo qui représente tous les vices de l'humanité
de l'autre. Certes Phoebus obéit une bonne moité du film aux ordres
de Frollo, mais il est présenté comme un gentil en venant au
secours d'Esméralda dès sa première apparition. Ce côté
manichéen est en opposition avec les personnages du roman. Dans
l’œuvre originale, personne n'est parfait. Chacun a sa part
d'ombre et de lumière. Le meilleur exemple serait Fleur de Lys
personnage pur et innocent par excellence qui souhaite la mort
d'Esméralda qui la prive des faveurs de Phoebus.
Autre
exemple de simplification révélateur : le titre du roman a été
modifié. Notre-Dame de Paris devient le Bossu de Notre-Dame. Le
récit choral mettant en scène une pluralité de personnages est ici
un récit initiatique. Quasimodo est le héros au cœur du récit
tandis que dans le roman, c'est la cathédrale qui occupait ce rôle.
Un
mauvais film ?
Cela fait-il du Bossu de Notre-Dame
un mauvais film ? La réponse est non. Un souffle grandiose sort
par tous les pores de ce dessin animé. L'animation est sublime, les
chansons sont incroyables et la magnificence de la cathédrale est
restituée avec brio ! Bien qu'elle ne soit plus au premier plan
dans le récit, l'intégralité des actions se déroule autour
d'elle. Ce qui lui permet de garder sa qualité de personnage
marquant.
Autre élément intéressant, les
trois gargouilles permettent de faire comprendre aux spectateurs le
lien existentiel d'interdépendance reliant la Cathédrale à
Quasimodo. Relation qui joue un rôle clé dans le roman. Notre-Dame
a besoin de son sonneur de cloches et les gargouilles ne s'animent
qu'en sa présence (à l'exception d'un plan avec Djali). Quasimodo
de son côté considère la cathédrale comme sa maison et les
cloches comme des amies fidèles.
Malgré les simplifications et les
problèmes de manichéisme dénoncés plus haut, le Bossu de
Notre-Dame a le mérite de proposer quelque chose d'originale et de
novateur pour un Disney. Certes il y a des défauts : le propos
manque souvent de subtilité, mais le message passe. Quant à sa fin
alternative, c'est un véritable message d'espoir. Les persécutés
s'unissent et réussissent à s'affranchir de leurs chaînes. Les
bannis ont droit d'amour et les opprimés deviennent les héros du
jour !
Un mauvaise adaptation ?
Avec le Bossu de Notre-Dame, Disney
signe un grand, un très grand film d'animation. Son seul défaut
serait d'être mal adapté à son jeune public. Pourtant, c'est un
film marquant. Il m'avait fasciné enfant pour son esthétique
particulière, et je n'ai jamais cessé de l'aimer depuis. Ce n'est
même pas une mauvaise adaptation au fond. Les thèmes abordés sont
les mêmes. Traités maladroitement certes, mais le dessin animé
parvient à proposer une nouvelle lecture intéressante de l’œuvre.
Le Bossu de Notre-Dame est une
adaptation un peu maladroite et imparfaite de Notre-Dame de Paris,
mais elle réussit pourtant à s'imposer comme un grand dessin
animé !
Afin de réaliser l'article, je me
suis appuyée sur l'excellente vidéo : Le
Bossu de Notre-Dame est-il un Disney dissident ?
de Bolchegeek.
Cet article a été écrit dans le cadre du challenge XIXème
Plop
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