Dans l'introduction
d'un précédent article, je vous faisais part de mon
admiration et de mon amour pour la plume de Tolstoï. J'y reviens
aujourd'hui car la lecture d'un gros pavé a occupé une bonne partie
de mes soirées printanières et estivales. Vous l'aurez compris,
voici ma critique de Guerre & Paix par Léon Tolstoï ! Dans
cette dernière, un autre roman de l'auteur s'est invité. Il y est
question d'adultère, de course de chevaux et de trains. Une idée ?
Toujours pas ? Il s'agit d'Anna Karénine.
Je vous l'accorde,
l'idée de traiter deux romans aussi riches dans une même critique
peut paraître saugrenue. Pourtant, ces deux œuvres ont de
nombreuses similitudes constituant autant de clés de lecture du
travail de Tolstoï.
Pour ceux qui
n’auraient pas lu les œuvres, et qui ne souhaitent pas en
apprendre plus sur leurs histoires, sachez que des éléments des
intrigues vont y être dévoilés pour développer ma critique.
1. Ils étaient deux
fois... ou le moment où tu apprends de quoi parle les romans
Commençons avec cette
chère Anna Karénine. Le roman nous relate l'histoire de l'épouse
d'un parlementaire respectable qui s’ennuie en ménage. Elle va
tomber folle amoureuse d'Alexis Wronski un officier, qui deviendra
son amant. Nous suivons en parallèle Lévine qui s'apprête au début
du roman à faire sa demande en mariage à Kitty, la sœur de la
belle-sœur d'Anna.
Quant à Guerre &
Paix, c'est à la fois un roman historique revenant sur la campagne
de Russie menée par Napoléon entre 1805 et 1812 ; une fiction
relatant la vie de trois familles de la noblesse moscovite et
pétersbourgeoise pendant ces événements ; un essai
philosophique sur le concept de la liberté de décision de l'homme.
2. L'amour de la Russie
La première chose qui
frappe à la lecture de Tolstoï, c'est l'amour de l'auteur pour son
pays. Que ce soit dans la description des traditions russes comme les
déguisements de Noël : « Les domestiques déguisés
en ours, en Turcs, en cabaretiers, en grande dames, cocasses ou
effrayants, apportaient du dehors le froid et la gaieté. […] ils
commencèrent les chants, les danses et les autres divertissements de
Noël. » Guerre &
Paix, les parties
de chasse, le patinage sur les lacs gelés :
« On se réunissait sur la glace, un jour de la semaine, entre
personne de connaissance. Il y avait là des maîtres dans l'art du
patinage qui venaient faire briller leur talent, d'autres qui
faisaient leur apprentissage derrière des fauteuils, avec des gestes
gauches et inquiets, de très jeunes gens, et aussi de vieux
messieurs, patinant par hygiène ; » Anna
Karénine, ou encore le
fauchage des blés. Lire du Tolstoï est l'occasion de se dépayser
et d'en apprendre plus sur la vie des russes au XIXème siècle. Les
nobles, les plus humbles, habitants des villes ou des campagnes,
personne n'y échappe.
Cet amour pour son pays
transparaît aussi à travers les descriptions de paysages,
nombreuses et souvent poétiques, puisque notre cher Léon n'hésite
pas à faire des pauses dans son récit pour nous laisser « admirer
le paysage » :
« Il faisait
un beau temps de gelée ; à la porte du Jardin on voyait,
rangés à la file, des traîneaux, des voitures de maître, des
isvostchiks, des gendarmes. Le public se pressait dans les petits
chemins frayés autour des izbas décorées de sculptures en bois ;
les vieux bouleaux du jardin, aux branches chargées de givre et de
neige, semblaient revêtus de chasubles neuves et solennelles. »
Anna Karénine
« Tout se tut.
Comme si elles savaient que maintenant personne ne les regardait
plus, les étoiles reprirent leurs jeux au fond du ciel sombre.
Tantôt éclatantes, tantôt s'éteignant, tantôt scintillant, elles
semblaient se chuchoter entre elles quelque chose de joyeux et de
mystérieux. » Guerre &
Paix
3. La quête du bonheur
La quête du bonheur
est la toile de fond narrative d'Anna Karénine et Guerre & Paix.
Cela est particulièrement visible à travers les personnages de
Pierre Bézoukhov et Lévine, qui sont tous deux sont malheureux au
début du roman. De son côté Pierre vient de perdre son père et
sera malheureux en ménage, quant à Lévine sa demande en mariage
est rejetée par Kitty. Tout au long des romans, tous deux
rechercheront le bonheur chacun à leur façon : Lévine dans le
labeur des tâches agricoles, Pierre dans sa soif de trouver des
réponses sur le sens de la vie aux côtés des francs-maçons. Leurs
recherches du bonheur se soldent par la découverte des joies que
procure un amour simple et la certitude que si Dieu existe, alors ils
ne peuvent qu'être heureux. La spiritualité étant également un
thème récurrent dans les œuvres de Tolstoï.
Un autre élément que
l'auteur associe à cette recherche du bonheur est l'importance du
pardon. Il est prêché dans Guerre & Paix par Marie Bolkonsky à
son frère André qui a été malheureux pendant presque tous le
roman. Il le découvre à la mort de son ennemi Anatole Kouraguine :
« Oui, la pitié, l'amour pour nos frères, pour ceux qui
nous aiment ; l'amour pour ceux qui nous haïssent, l'amour pour
nos ennemis ; oui, cet amour que Dieu est venu prêcher sur
terre, que m'enseignait la princesse Marie
et que je ne comprenais pas, c'est cela qui me fait
regretter la vie ; » Guerre
& Paix.
Cette découverte lui permet de vivre ses derniers moments apaisés
et heureux après avoir pardonné son écart de conduite avec Anatole
Kouraguine à son ex-fiancé Natacha.
À
l'opposé du schéma d'André, Anna Karénine, elle, refusera
d'accepter le pardon de son époux pour son infidélité. Désespérée,
elle finira par se jeter sous un train afin de se venger de son amant
lassé : « elle
scruta les œuvres basses du train qui la frôlait, les chaînes, les
essieux, les grandes roues de fonte […] Là, se dit-elle en fixant
dans ce trou noir les traverses recouvertes de sable et de poussière.
Là, au beau milieu ; il sera puni et je serai délivrée de
tous et de moi-même. »
Anna
Karénine.
L'intelligence de la
construction du récit d'Anna Karénine, basée sur l'opposition du
parcours entre Lévine et Anna met en exergue cette quête du bonheur
chez les deux personnages principaux. Tandis qu'Anna sombre de plus
en plus dans la folie et le désespoir, Lévine s'élève pour
atteindre le bonheur et l’apaisement. Il est d'ailleurs intéressant
de noter qu'Anna mène une vie citadine et fréquente la noblesse qui
pour Tolstoï était une vie « fausse » car théâtralisée
tandis que Lévine préfère la campagne et prône les vertus d'une
vie simple qui avait les faveurs de l'auteur.
4. Bienvenue en cours de philo !
Guerre & Paix est
un essai philosophique. Bien que ce ne soit pas le cas d'Anna
Karénine l'auteur nous y invite pourtant tout autant à la
réflexion. Les mêmes questions que dans Guerre & Paix sont au
centre du roman :
- L'homme est-il maître de son destin ?
- De quoi l'homme a-t-il besoin pour être heureux ?
Dans ses ouvrages,
Tolstoï propose des réponses à ces questions. Pour lui, l'homme,
bien qu'il est l'impression de prendre des décisions et de diriger
sa vie n'est en fait qu'un minuscule rouage dans une machine beaucoup
plus grande que lui et qui le dépasse. L'homme est, selon lui,
semblable à une personne dans un train. Il peut se déplacer dans et
entre les wagons sans que cela n'empêche pourtant le train de
continuer à avancer sans que la personne n'ait de prise sur ce
mouvement. Enfin, la seule façon pour que l'homme soit heureux est
d'accepter qu'il ne décide finalement de rien et que son destin est
entre les mains de Dieu ou d'une entité plus puissante (l'histoire
de l'humanité, la destinée...) que lui qui le dépasse.
La notion de destin est
d'ailleurs très présente dans les romans puisque André Bolkonski
sera grièvement blessé à Austerlitz puis considéré comme mort.
Napoléon déclarera en passant à côté de lui : « Ceci
est un belle mort ! » Guerre
& Paix. La phrase semble énonciatrice de la suite de
l'intrigue puisque André mourra finalement heureux dans les bras de
Natacha après avoir été mortellement blessé à Borodino. Quant à
Anna, sa première rencontre avec son futur amant, en gare de Moscou,
est marquée par la mort d'un machiniste se jetant sous le train,
comme si la rencontre sellait le destin de la jeune femme qui mourra
de la même façon 800 pages plus tard.
Pour autant Tolstoï ne
nous impose pas sa vision des choses et semble, au contraire, nous
exposer ces arguments pour nous encourager à développer notre
propre avis en se basant sur ces conclusions.
J'ai parfois lu ou
entendu que Guerre & Paix est plus abordable qu'Anna Karénine. À
mon avis, il n'en est rien... ce serait même plutôt l'inverse.
Déjà, pour parler trivialement, parce qu'Anna Karénine représente
une petite vingtaine d'heures de lecture mais qu'il faut compter le
double pour arriver au bout de Guerre & Paix ; ensuite parce
que la lecture de Guerre & Paix est segmentée entre les parties
romancées, les parties historiques et les parties philosophiques. La
lecture est fractionnée, ce qui n'est pas le cas d'Anna Karénine.
Je conseil donc de commencer par Anna Karénine si vous voulez lire
du Tolstoï. Quoi qu'il en soit, une chose est sûr la lecture de ces
romans et une expérience qui aura marqué ma vie de lectrice et
permis de découvrir d'une autre façon les guerres napoléoniennes
et la Russie du XIXème siècle en général.
Article écrit dans le cadre du challenge XIXème siècle |
T'façon pourquoi lire G&P quand on peut regarder la série ?
RépondreSupprimerWink Wink
Ta capacité de troll n'a de cesse de s'amplifier avec les années jeune hobbit !
SupprimerJ'ai adoré "Guerre et Paix" que j'avais en 4 volumes. Donc j'ai eu le temps de le déguster et de fait on voit Napoléon au travers de celle des russes et c'est passionnant d'avoir le "revers" de l'histoire. Par contre, je n'ai pas encore lu "Anna Karenine". C'est un vieux projet de lecture. Ton article me donne bien sûr envie plus que jamais de le lire.
RépondreSupprimerS'il a pu servir à cela, j'en suis ravie :D
SupprimerAnna Karénine est mon roman préféré justement pour la capacité de Tosltoï à concentrer beaucoup de questions existentielles et bien sûr sa quête du bonheur vue à travers différents personnages. J'aime aussi beaucoup son empathie pour les personnages et le fait qu'il ne les juge pas, malgré cela je trouve que trop de lecteurs "jugent" sévèrement le comportement d'Anna Karénine. J'adore également Guerre et Paix (je suis un peu amoureuse du prince André).
RépondreSupprimerQue celle qui n'a pas un jour rêvé de danser dans les bras du prince André te jette la première pierre ;)
SupprimerTrès bel article ! J'ai lu et adoré Anna Karénine pour l'ambiance de cette Russie impériale et la force de la plume de Tolstoï qui confère une vraie âme et une vraie force aux personnages. Guerre & Paix m'inspire moins alors que j'ai trouvé la mini-série excellente. Je pense que c'est l'omniprésence de la dimension militaire... Je risquerais de sauter des passages entiers pour le moment. Mais à l'avenir j'espère venir déposer sous cet article mon avis sur ce chef d'œuvre !
RépondreSupprimerPersonnellement, ce n'est pas le côté militaire qui m'a gênée mais parfois certaines apartés philosophiques étaient un peu trop longue à mon goût ;)
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